IMG 5907Blue Flower

Open menu
Write a comment

Fiction. Quoi de plus inquiétant, mystérieux et ténébreux qu'un monastère inhabité dans notre Provence.

Macabre découverte

Nous ne pouvons voir quelqu'un lire à côté de nous dans le métro sans vouloir connaître le titre du livre. Et c'est bien souvent un roman du Marseillais René Frégni qu'il (ou elle) tient entre ses mains. Les lecteurs qui le connaissent, et ils sont nombreux, savent que ses fictions sont pour la plupart imprégnées de son expérience. A-t-il vécu un temps dans un monastère inoccupé afin d'écrire "Dernier arrêt avant l'automne" ? Nous l'ignorons. Mais, lorsqu'il s'agit de René Frégni, rien ne saurait nous étonner. Et puis, qu'importe le flacon de la réalité puisque nous avons l'ivresse de lire son nouveau roman, dont l'intérêt ne languit pas une seconde, par la faveur d'une intrigue minutieusement réglée et d'un épilogue parfaitement au point. Auxquels s'ajoutent la fluidité de l'écriture, les parfums de notre région, et ses paysages peints d'un pinceau de maître.

Allez ! il est temps de faire connaissance avec ce monastère "caché dans le repli de collines désertes, pleines de couleuvres, de sangliers, de renards qui se glissent sous d'impénétrables ginestes, à l'écart des routes." Si vous souhaitez vous y rendre, quittez, à gauche, non loin de Moustiers-Sainte-Marie, la départementale. Gravissez les raides lacets d'une route bordée de cèdres bleus, jusqu'à ce que vous vous trouviez devant un portail dévoré par la rouille. Celui du monastère. À l'intérieur, vous attend un romancier en panne d'écriture, devenu gardien-jardinier, qui avoue avoir toujours aimé commencer l'automne en ouvrant un cahier, sur lequel il espère entendre le doux bruit de sa plume. Les amoureux des chats seront ravis d'apprendre qu'il est le compagnon humain d'une adorable chatonne toute blanche, aux oreilles et à la queue marron glacé.

Si ce n'était la réticence des mots à s'inscrire sur ce cahier acheté chez un ami libraire de Riez, tout serait parfait : son affectueuse minette, la Nature qui resplendit, le silence propice à l'inspiration et à la sérénité. Mais embauché par le nouveau propriétaire (tout aussi invisible qu'inconnu) pour entretenir le jardin et le cimétière, moyennant mille euros par mois, notre narrateur se résout gaiement à prendre les outils nécessaires au creusage et au débroussaillage. Mal lui en a pris de commencer par le champ du repos des moines, puisque au milieu des cadavres tombés en poussière depuis plus d'un siècle, il déterre une jambe humaine qui n'a pas fini de pourrir. Autant dire, l'horreur ! Avec cette macabre découverte et l'arrivée, somme toute légitime, des gendarmes, "Dernier arrêt avant l'automne" va-t-il se transformer en roman noir ? Sans doute.

D'autant plus que la jambe a disparu. Aussi les lecteurs sont-ils en droit de se demander si son déterrement ne fut pas le fruit de l'imagination d'un écrivain, prêt à tout pour mettre en branle le mécanisme de l'écriture. Fervente admiratrice des fictions de René Frégni (écrivain libre et insoumis), nous savons que si tous les ingrédients sont là : témoins, suspects, interrogatoires, et les diverses sauces épicées qui accommodent les mets des meilleurs polars, nous savons surtout que, chez lui, c'est moins le respect des règles établies par des artisans besogneux qui compte, mais la pétrifiante surprise d'un dénouement inattendu, grâce auquel se dévoile une monstrueuse vérité. Ainsi que le notait autrefois le célèbre critique de cinéma André de Reusse, lorsqu'un film l'avait enthousiasmé, nous donnons au roman de Frégni un « très, très grand bien ».

Anne-Marie Mitchell

"Dernier arrêt avant l'automne", par René Frégni, aux éditions Gallimard, 167 pages, 16,50 euros.

Dis quelque chose ici ...
Ou poster en tant que visiteur
Chargement du commentaire ... Le commentaire sera actualise apres 00:00.

Soyez le premier pour commenter.